Stratégie « La conversion en bio est l’un des meilleurs choix que j’ai faits »
Aujourd’hui en Gaec avec sa fille, Bruno Martel, éléveur laitier à Bain-sur-Oust (Ille-et-Vilaine), se félicite d’être passé en bio il y a vingt ans. L’autonomie, la technicité et bien sûr le côté vertueux du modèle compensent, selon lui, les difficultés actuelles.
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Les adhérents d’Agrial voient d’abord en Bruno Martel le président de leur filière lait bio. Mais s’il s’est investi dans cette fonction, c’est d’abord parce que sa motivation, nourrie par plus de vingt ans de pratique sur sa ferme, est extrêmement forte. Cet engouement pour le lait bio, il l’a aussi transmis à sa fille Apolline (1), qui s’est associée à lui en 2020.
«Je me suis installé sur la ferme de mes parents, qui produisaient du lait en conventionnel, en 1995, en Gaec avec un beau-frère », raconte l’éleveur. La dimension de l’exploitation a été calibrée pour trois associés. Le Gaec a été dissous en 2012 et Bruno a choisi de maintenir la taille de l’élevage et de travailler avec des salariés. Son parcours depuis a été riche en moments de bonheur, même s’il ne nie pas quelques difficultés.
Dès le début, il s’est engagé dans des filières d’agriculture raisonnée, tel le réseau Farre (Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement). «J’ai travaillé comme commercial en alimentation pour les porcs avant de m’installer et j’avais besoin de contacts sur le plan professionnel. Je voulais réfléchir à l’évolution de l’exploitation.» Tout semblait envisageable, de la transformation à la ferme au développement des cultures. Cependant, avec des sols au potentiel moyen et l’existence du bocage, la vocation de la ferme pour l’élevage ne faisait pas de doute. Persuadé qu’à l’avenir les agriculteurs devraient de plus en plus rendre des comptes à la société, Bruno a réalisé un CTE (contrat de transition écologique) : « Cela m’a permis d’évoluer vers un système bio et c’est l’un des meilleurs choix que j’ai fait au cours de ma carrière. »
« Les défis techniques sont passionnants »
Il rappelle que son élevage se situe à 1 km de Redon (Ille-et-Vilaine), une ville de 10 000 habitants. Une centaine de maisons se trouvent à moins de 500 m de la ferme et la confrontation avec des non-agriculteurs est permanente. Cela pousse à aller vers un système vertueux. Bruno a suivi des formations pour faire évoluer sa conduite du troupeau et des cultures. Il s’est passionné pour ces nouveaux défis techniques. «Gérer le pâturage, produire de l’ensilage d’herbe de qualité, bien élever les génisses. Sur tous ces sujets et bien d’autres, la conduite en bio demande beaucoup de technicité. Il s’agit d’un vrai challenge et j’ai pris beaucoup de plaisir à le relever », assure l’éleveur.
Aujourd’hui, le système est bien calé. Les vaches disposent de 40 ha accessibles pour le pâturage. Elles sortent de mars à novembre, mais reçoivent de l’ensilage de maïs en été durant un mois ou plus, en fonction de la pousse de l’herbe. De mai à septembre, la moitié de la ration se compose de trèfle violet associé à du RGH, de la fétuque ou du dactyle, en affouragement en vert. 40 hectares y sont consacrés, des surfaces non accessibles pour le pâturage. Le tracteur est équipé d’une faucheuse à l’avant et d’une autochargeuse à l’arrière. Un salarié consacre une heure à cette tâche vers 15 heures, et les vaches y ont accès après la traite de 15 h 45. Elles retournent ensuite en pâture.
« On récolte 200 t de MS par an de cette manière, à un coût de 50 €/t, explique l’éleveur. Cette tâche s’intègre bien au planning des salariés. » Bruno ajoute que cette pratique permet de valoriser des parcelles qui ne peuvent être pâturées et facilite la gestion des adventices. Il a posé des tapis devant l’auge pour améliorer le confort des vaches.
La ration hivernale se compose de deux tiers d’ensilage d’herbe, un tiers d’ensilage de maïs, 2 kg de correcteur azoté et des minéraux. Elle est distribuée de décembre à mi-mars. Durant cette période, le troupeau accède librement à une parcelle de 5 ha proche du bâtiment. Elles y passent beaucoup de temps, sauf en cas de mauvaise météo.
Toutes les génisses de l’élevage sont élevées et génotypées. Les quarante meilleures femelles sont inséminées avec des doses sexées. Les autres reçoivent des doses de race blanc-bleu-belge. Un mâle holstein est utilisé pour rattraper les génisses après deux inséminations. Elles sont hébergées sur un deuxième site, distant de 6 km à partir de l’âge de 6-7 mois. Elles disposent de 12 ha de prairie divisés en paddocks de 3 ha. Même si des caméras permettent de les surveiller, quelqu’un passe les voir tous les jours. Le bâtiment est trop petit pour les accueillir toutes. Il manque une trentaine de places et certaines restent dehors en hiver, ce qui n’est pas idéal. La construction d’une nouvelle étable est en cours.
L’autonomie limite la hausse des charges
« Comme la plupart des éleveurs bio, j’ai construit un système très autonome», analyse Bruno. Il achète chaque année 25 t de correcteur azoté, un mélange de soja, tournesol et luzerne à 32 % de MAT d’origine française, pour répondre au cahier des charges d’Agrial. Il achète aussi une tonne d’aliment pour les veaux non sevrés et 15 t de paille broyée. Celle qui est produite sur l’exploitation est réservée aux génisses. Cette autonomie réduit l’exposition de l’élevage à l’inflation. Cependant, les carburants et l’énergie en général, gonflent les charges depuis deux ans. Les coûts de mécanisation et de main-d’œuvre ont également augmenté. « Pour faire face, j’ai fait des arbitrages sur les investissements », précise Bruno. Ainsi, son projet d’installation de panneaux solaires, prévu en 2022, est reporté à 2024. Le renouvellement du matériel est lui aussi repoussé à plus tard. Mais l’éleveur reste attentif à maintenir l’outil de production à un bon niveau. « Quoi qu’il arrive, la performance doit être préservée. » C’est important pour son confort, celui des animaux et, bien sûr, pour que les salariés se sentent bien à la ferme. C’est pourquoi l’aménagement d’un nouveau bâtiment pour les génisses a été maintenu.
Cette stratégie aide à passer le cap mais le niveau du prix du lait compte également. Chez Agrial, il s’est plutôt bien maintenu ce qui constitue une chance pour l’éleveur. Selon notre observatoire du prix du lait, la moyenne sur douze mois s’établit à 512,89 €/1 000 l (2) à fin novembre, ce qui classe Agrial dans la moyenne. Les écarts entre laiteries sont importants, de l’ordre de 50 €/1 000 l, sans compter Biolait.
Bruno Martel reconnaît que certains éleveurs, et notamment ceux qui supportent un niveau de charges fixes élevé, qui ont subi des aléas climatiques importants, ou qui voient leur lait mal valorisé, peuvent être fragilisés, voire découragés par la situation actuelle du bio. Mais lui refuse de céder à la morosité.
Des bienfaits non rémunérés pour la société
Son plaisir de travailler au quotidien reste intact parce que son système de production est en phase avec ses valeurs, il y trouve du sens. Et, surtout, le bio apporte des solutions au problème du climat, il est vertueux pour la biodiversité, la qualité de l’eau et celle de l’air. « Tous ces bienfaits sont réels pour la société mais ne sont pas pris en compte dans le prix des produits », regrette-t-il. Il se dit plutôt optimiste sur le fait que cette situation va changer : «Les modes de production bio sont méconnus et doivent être mieux expliqués, le Cniel y travaille.»
Il rappelle aussi que, depuis des années, le bio s’est développé régulièrement, presque naturellement. Or, quand tout va bien, on fait moins d’efforts. La baisse de consommation actuelle impose de travailler davantage pour défendre la filière. Déjà, on constate une légère croissance du côté de la restauration hors domicile.
Bientôt, son fils Maxime va rejoindre le Gaec familial. Une grande satisfaction pour Bruno. « Je ne sais pas comment évoluera la ferme à long terme. Mais je suis convaincu que le bio a trop d’atouts pour être remis en cause. Mes enfants trouveront leur voie pour continuer avec ce modèle », conclut l’éleveur.
(1) Retrouvez Apolline Martel, notre nouvelle chroniqueuse de la rubrique Rebrousse-poil dans les pages de l'Eleveur laitier.
(2) Prix à 41 de TB, 32,5 de TP, toutes primes incluses.
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